Hasankeyf

Hasankeyf

Hasankeyf

Passé la nuit ici. Cette ville est toujours aussi belle. Décidément j’ai une préférence pour les villes au bord du Tigre. C’est qu’il y a à partir de Diyarbakir jusqu’à Cizre une lumiere particulière, une vibration de la couleur qui enchanterait les peintres. Et le Tigre à Hasankeyf a vraiment une couleur particulière, ou plutôt toute une palette : bleu roi, vert Nil, turquoise, vert amande, terre de Sienne, émeraude, et tout ça dans le même fleuve, sous les mêmes piles de pont… Ça, c’est pour la peinture. Pour ce qui est de la sculpture, elle est au-dessus. Les falaises de craie sont creusées, arrondies, ajourées, par l’eau et les villageois troglodytes. Ce que j’aime c’est que les monuments et les pierres naturelles s’harmonisent absolument au lieu de se faire concurrence.

 

La beauté du tombeau de Zeynal Beg est égale à celle des montagnes rondes et roses derrière et la tour de la citadelle aux deux lions affrontés a la même élégance émouvante, dans son jaillissement, qu’un rocher détaché et laissé sur la rive, que l’eau a rongé. Il est neuf heures du matin et je petit-deéeune les pieds dans la flotte, dans une de ces paillottes qui depuis un mois et demi couvrent la rive droite du Tigre.

 

Un vrai déjeuner de Kurde : pain, dew, concombres, tomates et thé (oh, mon café noir…).

 

Consolation : le fleuve grouille de poissons et tous les restaurants et épiceries proposent du poisson frais. Hier, comme l’unique motel d’Hasankeyf a fermé nous avons été dans une ögretmenevi, une Maison des Professeurs, une espèce de gîte rural réservé aux enseignants. Modique mais propre et avec l’essentiel. Déjà à Ovacik le kaymakam nous l’avait proposé. Et comme à Ovacik les professeurs en vacances passent leur temps à jouer à un jeu qu’ils appellent OK (je l’écris comme je l’entends) qui semble être un mélange de loto et de domino. Ça a l’air passionnant. Les policiers y jouent aussi. Débarquées dans l’ögretmenevi j’alpague le premier venu (en me fiant à son air plus éveillé) et lui explique le probleme. Dans un anglais triplement boiteux il me dit qu’il n’y a pas de probleme, qu’il faut demander l’autorisation à la police, qu’ils accepteront sûrement et qu’en attendant on va monter nos sacs.

 

Tres agréable jardin à l’intérieur, avec vue sur le vieux pont. Le temps de s’installer, de boire un thé, de s’apercevoir que je parle kurde. Comme d’habitude, sciés et contents. Tout le groupe était des professeurs de Batman, venus passer ici l’apres-midi. L’un d’eux était tellement impressionné qu’il a commencé de m’expliquer qu’il n’avait pas son stylo sur lui mais que sinon il m’en aurait fait cadeau. J’avoue que j’ai trouvé ça si incroyable que je lui ai fait répéter : hadi’a. Son stylo de professeur ! C’est la premiere fois qu’un professeur de mathématiques est aussi content de moi, je dois dire. Bref, entretemps, ils n’avaient plus du tout envie de nous laisser à Hasankeyf et insistaient plutôt pour que l’on vienne chez eux, à Batman. Des fois que la police nous refuserait l’autorisation, hein…

 

Mais dès qu’ils nous ont vus, les policiers, ils n’ont pensé qu’à une chose, virer les profs et nous récupérer pour eux tous seuls. J’ai bien vu qu’ils étaient consternés et ne s’y attendaient pas du tout. Les pauvres… Du coup on a passé la soirée avec les deux policiers qui étaient en faction de nuit sur la route et le pont moderne, assis devant leur tank. Car les policiers ici ont un tank. Ils contrôlent principalement les camions de pétrole qui viennent du Kurdistan d’Irak et roulent la nuit. Ils nous ont commandé un repas, le restaurant a dressé une table dehors et l’un d’eux, prénommé Ahmet, a fait le service, très stylé. Ensuite on a été les rejoindre autour de leur petite table à thé et on a mangé des eskimos tous les quatre, en regardant passer les camions et en répondant à leurs questions sur le foot, Le Pen (ça les a beaucoup inquiété cette histoire, visiblement). L’autre (je ne me souviens plus de son nom) nous a sérieusement expliqué qu’à Hasankeyf il n’y avait pas de Turcs, seulement des Arabes et des Kurdes.

 

Tous trilingues pour la plupart, même les enfants, de sorte qu’il est parfois impossible de les différencier. En fin de matinée le moxtar est venu faire la causette (je ne sais plus ce qu’est un moxtar mais c’est une fonction administrative). Il voulait avoir des nouvelles de sa ville, savoir ce que l’on pensait du projet de barrage. Nous l’avons rassuré en lui apprenant le désistement des investisseurs. Il était content. Ils n’ont pas l’air très informés sur place.

 

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Tigre eau et pelage
animal et fleuve
rayures d’azur
Souple échine qui s’étire sur le tapis vert du Botan

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