Centre Lalesh pour ne pas changer les bonnes habitudes. Après le déjeuner commun, le chauffeur qui est venu me chercher à Lalesh étant disponible, je lui demande de me conduire au site archéologique près du barrage. Je pourrais prendre un autre taxi pour rentrer, mais visiblement il a prévu de m’accompagner pendant la visite.
Le site n’a pas changé et il y a toujours partout des pancartes «autel du feu». En fait, il n’y a pratiquement que ça à part un «temple d’Anahita», ce qui fait un peu léger côté explications archéologiques, mais bon…
En rentrant, je m’installe sur les marches devant l’hôtel pour fumer une clope, quand un Kurde arrive et me tend son portable qui cause français. Une voix un peu intimidée m’explique que ce soir c’est la fête et qu’il faut que j’y aille tout de suite.
Nawroz (c’est son vrai nom) m’embarque dans un taxi pour un stade en périphérie et me donne un drapeau kurde pour que je participe à l’ambiance. A l’entrée, il négocie avec les contrôles pour que je puisse entrer : ils cèdent relativement facilement.
Il y a une foule impressionnante avec des drapeaux PDK, plus nombreux encore que les drapeaux du Kurdistan.
Je suis Nawroz de près, d’autant qu’il a tenu à s’emparer de mon sac, et m’apprête à suivre le mouvement pour accéder aux gradins, quand mon guide m’entraine… au milieu du stade !
Je comprends mieux les négociations et les questions à l’entrée : en fait, ils voulaient savoir si j’avais une carte de presse. Les photographes locaux m’adoptent sans problème et je suis libre de circuler dans tout le stade, position idéale pour les photos.
Les équipements des photographes locaux vont du simple numérique de poche, au boitier/télé/flash (dommage, j’ai laissé le mien à l’hôtel), mais la plupart n’ont qu’un matériel modeste.
Je passe à Nawroz un boitier réglé sur auto, et lui explique rapidement comment se servir de l’objectif : un stade c’est grand, ça peut toujours servir d’être à deux.
Je m’attendais à du folklorique, mais en fait c’est un meeting politique avec en vedette Neçirvan Barzani, le premier ministre et futur président du Kurdistan, ici, personne n’en doute.
Visiblement, il est parfaitement dans son élément au milieu de ses milliers de supporters. Dynamique, convaincant, très à l’aise, la relève est assurée pour le clan Barzani : dommage qu’il ne lève pas plus souvent les yeux pendant son discours, il faut mitrailler pour avoir un portrait convenable.
C’est la ruée quand il s’avance sur le tapis rouge. Je laisse Nawroz y participer tout seul, comme il est grand, il a plus de chance que moi de s’imposer pour rapporter une bonne photo, et je vais me poster plus loin sur le parcours.
J’ai failli en avoir une excellente, mais le service de sécurité m’a repoussée une fraction de seconde trop tôt. Nawroz qui était bien placé a malheureusement oublié le seul conseil que je lui avais martelé : pas bouger ! La quasi-totalité de ses photos sont floues.
Heureusement, au télé j’en ai quand même quelques unes qui sont correctes, et comme j’ai passé une partie de la soirée en RAW + JPEG, Yusif et le journal de Lalesh pourront utiliser quelques clichés d’actualité.
Je ne travaille jamais en JPEG, et j’ai un mal fou ici à leur faire comprendre pourquoi je ne peux pas leur donner les photos immédiatement : RAW, ils ne connaissent pas, et c’est inexploitable sans passer avant par Photoshop.
Nawroz est allé voir le service de sécurité sans me prévenir pour leur expliquer qu’il fallait impérativement que je rencontre Neçirvan pour lui tirer le portrait. Résultat, j’ai droit à un interrogatoire en règle (et en anglais !) pour expliquer le pourquoi du comment… Sauf que je n’ai pas plus de pourquoi que de comment, et pas la moindre envie de rencontrer le Premier ministre dans ces circonstances : les portraits de commande, ce n’est pas mon truc.
Un responsable vient me voir pour m’informer que ce sera possible dans 5 mn et de préparer les questions que je vais lui poser. Le problème c’est que je n’en ai aucune, et aucune disposition non plus pour les salamalecs d’usage. Je ne suis pas contre rencontrer Neçirvan, mais pas comme ça : de toutes façons, je suis incapable de faire un bon portrait sans un minimum d’échange.
Les autres photographes présents donneraient n’importe quoi pour être à ma place, pendant que je cherche comment me sortir de cette embrouille. Je plains ceux dont c’est le job de cirer les pompes pour approcher des people, ça doit être d’un ennui mortel…
Nawroz revient à la charge pour expliquer au service de sécurité qu’une photographe française est venue pour voir Neçirvan et qu’elle attend : tout juste s’il ne les engueule pas ! Je profite d’un mouvement de foule pour lui expliquer que je n’y tiens pas tant que ça, que ce sera mieux ailleurs, une autre fois… miracle, malgré notre vocabulaire commun indigent, il arrive à comprendre !
Il comprend d’autant mieux que vu l’heure, il a le temps de m’embarquer au resto.
Soirée très sympa, et j’ai de nouveaux potes : Nawroz, son téléphone qui parle français, et le patron de l’hôtel qui ne veut pas que je sorte pour fumer. Ses affichettes signalant l’interdiction formelle ne me concernent plus !