Mahat est une petite ville (ou un grand village) récente, sans végétation qui la rendrait supportable en cette saison. Chaque famille entretient un minuscule jardinet dont le vert tranche dans ce paysage de désert poussiéreux.
Tous les voisins, amis, cousins et murids de la famille de Sheikh Hassan viennent m’accueillir, chacun tentant de m’attirer chez lui, mais c’est Jiyan qui choisit qui, quand et combien de temps. Elle m’entraine d’abord chez ses tantes et sa grand-mère, où après le thé, on me propose une douche.
En fait, chaque maison ayant un avantage, je peux prendre ma douche dans celle qui a la plus belle salle d’eau, manger chez la meilleure cuisinière, faire la sieste dans le plus beau salon… Si je dois changer de maison à chaque fois que je fais quelque chose, je risque de ne pas m’en sortir et de froisser certaines susceptibilités, donc comme je dors chez Jiyan, je fais tout chez elle, et on sortira pour les visites qu’elle jugera nécessaires. Ça lui convient parfaitement, et ça m’évite les impairs !
Les femmes veulent savoir si mes cheveux sont naturels ou teints : la couleur leur plait et elles se demandent comment je fais pour ne pas avoir de cheveux blancs, ni de rides, alors que je prétends avoir 47 ans et que mon passeport confirme. Certaines sont carrément sous le charme, alors que côté jolies filles, il y en a plus d’une ici, avec en plus des yeux magnifiques ! Le charme de l’exotisme peut-être ?
Un oncle de Jiyan me conduit au cimetière, où il y a un petit mausolée, réplique du temple de Lalesh, et un Pir qui y vit et ne se fait pas prier pour me montrer tout ce que je veux voir et pour se laisser prendre en photo.
Sheikh Hassan et sa femme veulent savoir ce que je veux manger, mais veulent que je veuille du spécial : je suis à court d’idées, perso le poulet me va très bien !
Ils savent que les Français boivent, et comme ils me proposent tout un tas d’alcools, je cède pour une bière : sont contents de me montrer qu’ici, on trouve de tout. L’alcool n’est pas interdit aux Yézidis, même si dans les faits ils en consomment très peu, et sans avoir à se planquer !
Après le dîner, Sheikh Hassan me demande de lui donner les noms français de tout un tas de choses : longue crise de fou rire aux premiers essais de part et d’autre. Il y a des mots qu’ils sont incapables de prononcer, et mes tentatives en kurde les amuse tout autant.
Ils veulent aussi savoir si je suis chrétienne : Non ! Musulmane ? Non plus ! Bouddhiste ? Pas davantage… Ils ne comprennent pas Athée que je finis par traduire Rien ! Ça les enchante, parce qu’en fait, rien ne s’oppose à ce que je devienne Yézidie… OK, mais je choisis mon Sheikh, ou plutôt ma Sheikh, et rebaptise aussitôt Jiyan «ma Chère Sheikh» en lui expliquant l’homonymie des deux mots…
N’ayant pas encore de Pir, je décide que pour l’instant, je suis à moitié Yézidie. «On nait Yézidi, on ne le devient pas» : voilà encore une des élucubrations sur les Yézidis mise à mal ! Rien ne s’opposait avant les persécutions maintenant millénaires à des conversions. Seule la situation et le besoin de se protéger ont rendu nécessaire un strict cloisonnement vis-à-vis de l’extérieur, mais aussi au sein des castes.
Si aujourd’hui n’importe qui évidemment ne peut pas devenir Yézidi, les persécutions existent malheureusement toujours, une adoption (plus qu’une conversion) parait parfaitement envisageable … et ici, dans mon cas, parfaitement naturelle.
Après le dîner, ma Chère Sheikh, consent à me partager un peu avec ses voisins, mais je suis sous bonne garde : avant de rentrer dans chaque maison, elle m’indique pour chaque famille le temps imparti. 5 mn ici, 10 mn chez des plus proches, c’est en fonction de la position familiale, de la caste… et des affinités de Chère Sheikh. Évidemment, à son grand agacement, ça ne se passe pas vraiment comme prévu : entre les plateaux de fruits et de thé, son timing est plus que largement dépassé, mais vu les protestations énergiques, je ne me vois pas leur fausser compagnie au bout de 5 mn !