EPOS Kurdish Chronicle – Photodiary from KRG
Sheikh Amer Mamoud Saido est le cousin de Mîr Tahssin Said Ali beg, prince des Yézidis. Nous l’avons rencontré à Lalesh, le village sacré et principal lieu de culte des Yézidis
EPOS : Pouvez-vous nous résumer la situation dans laquelle sont actuellement les Yézidis ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Depuis l’attaque du Sinjar par Daesh (« l’Etat islamique »), le 3 août 2014, des centaines de milliers de Yézidis ont dû fuir leurs villages pour trouver refuge au Kurdistan, mais des milliers d’entre eux, dont de nombreux enfants, sont toujours encerclés dans la montagne et ne reçoivent aucun secours, ni aucune aide humanitaire.
Plus de 5.000 hommes ont été exécutés par les djihadistes, et plus de 7.000 femmes et enfants ont été kidnappés pour les forcer à se convertir à l’Islam et les réduire en esclavage sexuel.
Les frappes aériennes de la coalition internationale, et l’intervention des combattants kurdes ont permis de sauver de nombreuses personnes, mais restent à ce jour trop insuffisantes pour libérer les territoires yézidis.
EPOS : Qu’attendez-vous aujourd’hui de la communauté internationale pour résoudre cette situation ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Les combattants yézidis qui résistent dans le Sinjar ont besoin d’armes et d’assistance militaire pour repousser les terroristes et libérer nos compatriotes.
Nous demandons à la communauté internationale de nous fournir des armes, de nous aider à récupérer les territoires yézidis aux mains de l’État islamique, et de mettre en place une zone de protection des populations civiles, comme celle dont avaient bénéficié les Kurdes en 1991.
Nous demandons également une intervention de la coalition internationale pour permettre la libération des milliers de femmes et d’enfants qui sont prisonniers à Mossoul et dans les territoires aux mains de Daesh.
EPOS : Quelle est la situation des réfugiés au Kurdistan ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Le Kurdistan compte aujourd’hui près de 1.800.000 réfugiés pour une population d’un peu plus de 5 millions d’habitants. Les Kurdes nous ont aidés en accueillant chez eux des réfugiés yézidis, en donnant des vêtements et de la nourriture, mais les besoins sont trop importants pour que le gouvernement kurde et la population puissent y répondre seuls, et nous faisons face à une situation humanitaire catastrophique qui va en s’aggravant avec la venue de l’hiver.
Des milliers de personnes vivent dans des abris précaires, des immeubles en construction, des écoles, et il n’y a pas d’infrastructures suffisantes qui permettent d’assurer à chacun des conditions de vie décentes.
Les réfugiés ont besoin de camps pour les accueillir, de nourriture, de médecins, de médicaments, de vêtements chauds pour l’hiver, de couvertures, de chauffages, d’argent…
Ils n’ont pas de travail et manquent de tout, malgré la solidarité du Gouvernement et de la population.
EPOS : Lalesh, votre principal lieu de culte, accueille de nombreuses familles, principalement dans des abris construits pour les périodes estivales. Comment préparez-vous ici l’arrivée de l’hiver ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Les réfugiés qui sont actuellement à Lalesh ne pourront pas y rester cet hiver. Le site n’est pas adapté pour répondre à cette situation, et doit garder sa vocation de lieu de culte. C’est pourquoi il n’est pas possible d’y installer des cabines de douche ou de WC par exemple.
Les 450 familles qui vivent actuellement à Lalesh devront bientôt rejoindre un camp situé entre Baadrê et Esyan, camp qui est actuellement en cours de construction et qui est financé par l’Emirat de Dubaï. Ce nouveau camp de 3.000 tentes accueillera également des réfugiés qui sont abrités dans des écoles de la région de Duhok pour permettre leur réouverture et procéder à la rentrée scolaire qui n’a encore pas pu avoir lieu.
EPOS : Quels soutiens recevez-vous ici à Lalesh ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Quelques ONG sont venues pour nous apporter de l’aide comme l’UNICEF qui a fourni des kits d’hygiène et des vêtements pour enfants, Save the Children qui apporte également de temps en temps des kits d’hygiène, la Croix rouge qui est intervenue pour fournir des médicaments et une assistance médicale, l’association Kandil, et la Fondation Barzani qui nous approvisionne en denrées alimentaires de base.
Quelques associations yézidies d’Europe, notamment d’Allemagne, nous envoient également de temps en temps un peu d’argent pour faire face aux besoins les plus urgents.
Malheureusement, ces soutiens ne sont pas constants et sont très insuffisants pour répondre aux nombreux besoins des familles qui ont tout perdu en fuyant le Sinjar, sans pouvoir prendre avec elles un minimum d’affaires. La plupart des réfugiés n’avaient que les vêtements d’été qu’ils portaient au moment de leur fuite précipitée, et les nombreux jours de privations qu’ils ont subis dans la montagne, sans eau, sans nourriture et sans abri sous un soleil accablant, ont laissé des séquelles et provoqué un besoin accru en soins médicaux, principalement pour les enfants.
EPOS : Vous avez évoqué les milliers de femmes et d‘enfants kidnappés par l’État islamique pour les forcer à devenir musulmans et servir d’esclaves sexuels aux djihadistes. Pouvez-vous nous parler des femmes et des jeunes filles qui ont pu s’échapper et comment elles sont accueillies par votre communauté ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Le Conseil religieux yézidi a lancé un appel aux familles pour que ces femmes ne soient pas considérées comme musulmanes. Celles qui se sont converties l’ont été par la force pour sauver leur vie et sont toujours yézidies, tout comme celles qui ayant refusé de renier leur foi et qui ont été mariées à des Musulmans, violées et vendues pour servir d’esclaves sexuelles. Toutes sont des victimes, et elles doivent recevoir tout le soutien possible de leurs proches et de la société civile, et en aucun cas être rejetées.
Nous avons demandé l’aide de l’Union Européenne et de Genève pour aider ces jeunes femmes, mais aussi les familles qui ont toujours des proches aux mains de l’État islamique, et qui sont sans nouvelle des leurs. Ces personnes aussi sont gravement traumatisées, et nous sommes démunis pour les aider médicalement et psychologiquement. Nous n’avons ici aucune cellule psychologique qui pourrait les prendre en charge et les aider à surmonter les traumatismes violents qu’elles ont subis.
Nous n’avons pas eu de réponse à nos appels à l’aide, et demandons instamment à toutes les ONG internationales disposant des compétences médicales nécessaires de prendre en compte la souffrance de ces femmes et de leurs familles, et d’organiser pour elles une aide spécifique.
EPOS : Avez-vous un message à adresser à la Communauté internationale ?
Sheikh Amer Mamoud Saido : Il y a des milliers de personnes qui sont toujours encerclées à Sinjar et qui ne reçoivent aucun secours. Si un corridor humanitaire n’est pas créé pour les libérer de toute urgence, la plupart d’entre elles vont mourir de faim et de froid dans les montagnes. Elles courent de plus chaque jour le risque d’un nouveau massacre et se sentent totalement abandonnées par le reste du monde.
Il faut aussi réagir énergiquement pour libérer les femmes et les enfants esclaves de l’État islamique et venir en aide aux victimes.
Nous lançons un SOS aux ONG internationales : des centaines de milliers de réfugiés sont toujours sans abri, sans chauffage, et manquent de nourriture. La situation humanitaire est dramatique, et empire de jour en jour avec l’hiver qui commence à s’installer. Les réfugiés n’ont ni travail, ni revenu, ni argent, et survivent dans des conditions misérables. S’il vous plait, ne les oubliez pas !