Retour à la citadelle puisqu’hier, je n’ai pas eu le temps d’en faire le tour. Une grande partie du site est toujours en restauration et interdite au public.
La plupart des visiteurs que je croise m’arrêtent pour bavarder et pour me demander la permission de me prendre en photo avec eux, y compris des Turcs d’Antalya venus faire du tourisme dans la région.
J’échange en anglais quelques mots avec des Kurdes, qui après m’avoir demandé mon âge concluent entre eux «elle ne comprend pas l’anglais» : 47 ans, pour eux j’ai répondu à côté de la plaque !
Je croise de plus en plus d’Irakiens qui paraissent très à l’aise ici, dont Hayder de Bassora. Il est photographe et ne savait pas à qui confier son matériel pour être sur ses photos souvenir : ma présence le dépanne. Après avoir échangé un peu sur nos objectifs (photo) respectifs, et sur l’antiquité, il conclut avec humour sur son pays : «première civilisation hier, dernière aujourd’hui !». Avant de nous séparer, il tient à me laisser ses coordonnées complètes, et insiste pour que je le contacte si je veux venir en Irak : je les trouve de plus en plus sympa ces Irakiens, et totalement différents de l’image que nous en donnent les médias français.
Après un tour au divan ottoman et aux constructions attenantes, je m’apprête à redescendre quand un préposé à la citadelle me fait signe de le rejoindre, m’indique la chaise près de lui et me tend une clope… avant de me demander de le suivre dans un coin discret avec des gestes non équivoques. Je l’envoie bouler tout aussi explicitement, mais il se permet de me suivre pour me relancer jusqu’à la sortie du site, probablement pour le cas où je n’aurais pas bien compris la première fois, et réalisé brusquement quelle fantastique occasion je risquai de louper !
Une islamisation de façade progresse de façon spectaculaire. Je n’ai pratiquement pas croisé de femmes avec ou sans le foulard kurde traditionnel, elles ont presque toutes adopté à Erbil le foulard islamique censé les protéger des regards masculins (regards qui ne leur posaient pas de problèmes il y a trois ans), mais n’hésitent pas à afficher des couleurs très vives et voyantes, des paillettes à gogo, et un maquillage que ne renierait pas un trafiquant de voitures volées.
Les «bons» musulmans kurdes, eux, affichent leur dégout de l’alcool… en public, et se planquent pour boire tout en se gavant de porno. Le développement rapide des télécommunications, et principalement d’Internet, allié à la frustration que leur impose leur société, leur renvoie une image de l’Occident totalement déformée, d’un grand lupanar où toutes les femmes sont disponibles et consentantes, et la vie facile…
Le clientélisme qui sévit dans les partis politiques n’arrange bien évidemment pas la situation : fric et pouvoir despotique pour les uns, aucun espoir d’avenir pour les autres qui rêvent de partir en Europe et le font dès qu’ils en ont l’occasion, principalement les jeunes.
Arriver à se libérer d’une si longue dictature extérieure, pour s’en fabriquer une «maison» en si peu de temps, c’est vraiment à pleurer !
Il reste encore quelques Kurdes chaleureux et sans arrière pensée, comme le guide du musée, ou ce vendeur de thé qui a refusé que je lui paie le mien ainsi que la bouteille d’eau, et m’a expliqué qu’à chaque fois que je passerai au bazar, je serai son invitée, mais ils ne sont plus majoritaires. Il y a bien les Arabes et les Turkmènes qui se comportent normalement et que je rencontre avec plaisir, mais si je suis au Kurdistan d’Iraq, c’est pour voir des Kurdes…
Il est temps de quitter Erbil et sa morale hypocrite qui commencent à me gonfler grave, en espérant que le phénomène ne se soit pas propagé à tout le Kurdistan.