EPOS Kurdish Chronicle – Photodiary from KRG – English version here
Galeh, mon chauffeur de taxi yézidi attitré que je retrouve à chaque voyage, s’arrête au contrôle en bas de la vallée de Lalesh, mais avant qu’il ait eu le temps de dire le moindre mot, un peshmerga surgit de sa guérite en hurlant des «Kênê, Kênê !» joyeux. Ici, je suis Kênê, depuis que Pir Sait (Said), l’un des prêtres du Temple de Lalesh, a décidé que Roxane était trop difficile à prononcer.
En montant vers le village, il y a des tentes UK AID plantées à même le sol. Elles servent d’abri la nuit à des réfugiés du Sinjar (Shengal en kurde), mais s’avèreront un rempart bien fragile et dérisoire quand les pluies vont arriver, comme c’est pratiquement toujours le cas après la mi-octobre dans cette région montagneuse du Sheikhan.
A l’entrée du village sacré des Yézidis, tout le monde enlève ses chaussures pour parcourir ses ruelles. J’enlève les miennes et me dirige vers la cabane des peshmergas qui assurent la sécurité de Lalesh pour leur confier mes sacs comme je le fais toujours ici, mais ils me sont tous brusquement enlevés et s’en vont en direction de la maison où vivent les Fakirs responsables de l’intendance du Temple. Les filles de Sheikh Hassan (une branche de la famille princière) me tombent dans les bras et m’entraînent à leur suite.
Chaque année au mois d’août, le prince des Yézidis met aux enchères les places sacrées de Lalesh, et cette année, c’est Sheikh Hassan dont la famille fait partie de la caste des Sheikhs mais dont les membres sont également connus comme Fakirs (caste des Murids) qui a remporté la charge de l’intendance du Temple principal des Yézidis pour 13.000.000 de dinars, soit un peu plus de 8.700 €.
Après de chaleureuses retrouvailles, je pars faire un tour du site. Lalesh est un petit village dont les constructions en pierres, destinées à protéger des ardeurs du soleil, sont disséminées sur les flancs de la montagne.
Il y a des tentes IOM OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) également plantées à même le sol, mais la plupart des familles de réfugiés de Shengal (Sinjar) occupent l’une des constructions qui servent l’été aux Yézidis de la région, et lors des grandes cérémonies, notamment celle d’automne qui a toujours lieu entre le 6 et le 12 octobre et qui rassemble des milliers de personnes. Elle n’a malheureusement pas eu lieu l’année dernière pour des raisons de sécurité, un attentat ayant fait plusieurs morts à Erbil, la capitale du Kurdistan, et elle est évidemment également annulée cette année à cause des dramatiques événements qui ont touché la communauté yézidie dans le Sinjar.
L’ensemble du site de Lalesh abriterait actuellement 430 familles, soit environ 3.000 personnes. Leurs conditions de vie sont difficiles, notamment pour ceux qui ont élu domicile sur les hauteurs. Ils doivent constamment descendre pour s’approvisionner en eau pour la cuisine, la toilette et la lessive, et également pour accéder aux sanitaires communs, ce qui est particulièrement éprouvant pour les personnes âgées, handicapées ou malades.
Des enfants partent à la recherche de bois pour faire cuire les repas, certaines familles ne disposant même pas d’un réchaud pour cuisiner. L’approvisionnement en combustible est délicat à Lalesh, les arbres sont sacrés, il est donc interdit de les couper, et il faut faire beaucoup de chemin pour réunir un petit fagot de bois mort.
L’un des principaux problèmes dont se plaignent régulièrement les réfugiés est l’absence de médecin. Les enfants sont nombreux, y compris les nourrissons, et la grande majorité a subi au moins une semaine de privations en plein soleil, sans eau et sans nourriture, quand la fuite en toute hâte dans les montagnes de Sinjar était la seule chance de salut pour ne pas tomber entre les mains des djihadistes de l’Etat islamique. Des médecins sont venus quatre ou cinq fois au début de l’exode, mais plus personne ne suivrait actuellement les réfugiés de Lalesh.
Il y a bien une petite pharmacie, mais elle ne dispose de médicaments qu’en nombre nettement insuffisant et ne propose pas de traitement pour les affections de longue durée comme le diabète par exemple. L’approvisionnement est assuré tous les deux mois par le gouvernement kurde, mais les livraisons sont trop limitées pour satisfaire les nombreux besoins, même si quelques associations locales amènent parfois des médicaments. Trois pharmaciens diplômés se relaient pour assurer des consultations de base à près de 200 patients par jour, et soignent gratuitement les petits bobos quotidiens. Ils posent même des points de suture si cela s’avère nécessaire, mais doivent demander aux réfugiés d’aller à l’hôpital de Sheikhan ou chez un médecin en ville pour la délivrance d’une ordonnance pour les maladies qui dépassent leurs compétences. La plupart des réfugiés n’a pas les moyens financiers de se faire soigner à l’extérieur, et l’hiver qui sera là bientôt va encore aggraver la situation.
Sous un abri proche de la pharmacie, une famille réfugiée à Zakho est venue passer quelques jours à Lalesh. La mère pleure en regardant son enfant. Il a passé plusieurs jours dans les montagnes du Sinjar quand ils ont fui leur village, et est gravement malade après avoir subi un soleil écrasant, sans abri et sans eau. Le médecin que ses parents ont consulté à Zakho n’a pas pu le soigner, et ils n’ont pas les moyens d’aller en voir un autre. Malgré l’élan de solidarité des réseaux sociaux pour m’indiquer des contacts d’ONG qui pourraient lui venir en aide, j’apprendrai malheureusement sa mort quelques jours plus tard…