Ahmedê Khanî

Comme nous voyageons rarement en plein été, il y a une chose qui ne m’avait pas autant frappée jusque-là : c’est qu’ici, les Turcs ne se sentent pas chez eux. Qu’ils soient touristes ou fonctionnaires, ils ne se sentent pas en Turquie réellement, plutôt dans une sorte de colonie, mais les Kurdes leur sont totalement étrangers. Même les groupes d’étudiants turcs sont peu à l’aise, alors qu’il nous suffit de trois mots au milieu de ces Kurdes pour être au milieu de familiers.

Un Kurde d’Irak ou d’Iran ne fait pas « en visite » à Van ou Dogubayazit, mais les touristes turcs font aussi touristes que les Européens, on ne les distingue parfois qu’à la langue. Dans les dolmush ou les otogars, deux Kurdes qui se rencontrent s’enquierent de leurs villages respectifs, de leurs maisons respectives, saluent avec de grands serçawan leurs connaissances mutuelles, et au bout de quelques instants deviennent compagnons de route. Les noms de lieux qui reviennent dans leurs bouches sont Batman, Diyarbakir, Agri… Quand ils nous parlent de villes à l’Ouest on sent qu’ils pensent « là-bas, en Turquie… » Jamais entendu dire « Zakho, en Irak… »

12h. Türbe d’Ahmedê Khanî. Pauvre Ahmedê. Comme Malayê Ciziri il se retrouve confit dans les tapis, les tissus verts de mauvais goût et la dévotion. Que des femmes autour, qui lisent le Coran en arabe (disons qu’elles marmonnent quelque chose en tournant les pages à l’envers). Il n’y a pas un seul de ses livres dans la salle, rien que des Corans. On a mis un turban blanc et vert sur sa tombe, et voilà, c’est une ziyaret. Qu’est-ce que tous ces gens-là savent de la religion de l’amour, perdus qu’ils sont dans leurs bigotteries ? Il y a plus d’esprit soufi sur la stèle de Mem que sur cette estrade peu esthétique avec des planches autour qui font comme une alcôve. Aucune âme ni fraîcheur dans ces lieux de pelerinage.

A l’entrée par contre, nous blaguons avec les deux mendiants estropiés de service, de vrais mendiants de l’islam, avec l’insolence et le bagoût déluré des maqamat. Puis nous raflons des portraits peints sur verre d’Ahmedê Khani sous les yeux ébahis de Kurdes venus de l’Essonne. L’un d’eux, qui avait pris un exemplaire de la déesse aux serpents (la même que j’avais trouvée à Tunceli mais aux teintes plus belles) se fait pardonner en payant pour nous un des quatre tableaux.
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Muradiye – Mont Ararat

Dimanche matin, aucune pastane n’est ouverte. Pas plus de dolmus pour le chateau, comme ça, on n’a plus a hésiter : on laisse tomber et on remplace par Muradiye qui est sur notre route, malgré Orhan qui plaide pour nous retenir. Comme de toute façon c’était sur la route de Hakkari, atteindre la ruine (précise la légende de la carte) nous aurait pris du temps sans garantie d’arriver a bon port.

Le chauffeur du dolmus dont nous attendons le départ plus de 2 h (2 millions – 1 h 15 – 13.000 habitants) nous ordonne presque de nous mettre a coté de lui. Sur la route, un controle militaire nous est visiblement destiné : sympa et désireux de faire un peu la causette…

A Muradiye, il n’y a pas plus de taxi que d’hotel : le chauffeur du dolmus propose de nous conduire aux chutes (12 millions), ou il n’y a évidemment pas de dolmus pour Dogubayazit (48.900 habitants). Apres quelques photos, le dolmus peut nous conduire pour 90 millions : c’est cher, mais on n’a pas franchement le choix.
 
Trois controles plus loin, on retrouve le Orta Dogu (40 millions la chambre – 2 lits dont un double – avec petit dej – propre, spacieuse, eau chaude a certains moments de la journée) qui n’a pas changé. Deux clients profitent sournoisement de l’habituelle pause thé a la réception pour nous envoyer une assiette de pasteque.

A 7 heures, je m’installe sur le balcon avec l’intention de photographier le coucher de soleil sur le mont Ararat… plus possible : en 2 ans, les nouvelles constructions ont trop poussé.
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Van

Saloperie de mosquée. Dire que la prière de nuit n’est pas obligatoire… Je suis sûre que le type qui braille par enregistrement sur haut-parleur à 4 heure du matin dort, lui.

 

Aujourd’hui, dimanche matin, toutes les pasta sont fermées. La fast food jardin ne sert que des toasts au ketchup mais on peut manger dans ces infâmes pide-döner-kebap salonu autant de brochettes que l’on veut à dix heures du matin. Ces horreurs sont toujours ouvertes, pas de danger. Roxane fume en pensant aux petits pains, vraiment très bons quand ils sont chauds. Moi je m’en fous, je prends deux toasts pour la peine. Le matin, n’importe quoi me va pourvu que ce soit consistant (donc ni tomates ni concombres) et non sucré (ils peuvent remballer leurs barquettes de confiture et de miel). Toast, kek (pour cake) poghaça, tout passe avec du nescafé. Une chose que j’aime aussi le matin c’est la soupe. Disons que c’est mieux que l’éternel assemblage fromage-olives noires. Il faut préciser d’ailleurs ce qu’ils entendent par « fromage ». En gros il y a trois fromages kurdes : une espèce de machin caoutchouteux et très salé, du fromage frais assez salé style feta, et un autre qui ressemble à de la feta mais que l’on aurait laissé rancir. C’est tout.

Devant nous un Kurde d’Irak vient de passer, en grande tenue : pantalon large, veste courte assortie, turban et ceinture. Splendide et racé, le pas majestueux. Vêtu comme cela, même le plus insignifiant a des allures de sultan. Un beau Kurde, élancé comme ils sont dans les montagnes, habillé à la traditionnelle fera toujours aristocrate, à côté des plus beaux Turcs, de « belles bêtes », certes, mais qui ne sont que cela : de beaux mameluks.

 

Au départ pour Muradiye adieux très tristounets du petit Orhan qui sourit bravement, les yeux plein d’eau contenue. J’aime beaucoup le sourire des Kurdes quand ils sont tristes : c’est un arc-en-ciel inversé, un arc-en-ciel avant la pluie qui coulera plus tard, en cachette. Comme ils imaginent toujours que leurs émotions sont partagées il me serre le bras et chuchote : « Are you OK ? Really OK ? » Mieux que toi, pauvre agneau.

On ne peut quand même pas tous les prendre avec soi…

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Aktamar

Petit dej a l’hotel qui n’en sert pas habituellement, mais Orhan (le fils du patron) va nous chercher des petits pains et le serveur-réceptionniste nous prépare du Nescafé (on tend notre boite) pendant que l’on bavarde। Des que je fais un pas dans cet hotel, je tombe sur lui : il n’attend visiblement qu’un sourire et me demande la permission de nettoyer personnellement la chambre (dans l’état ou elle est, ça ne peut pas faire de mal).

Orhan nous accompagne a la bonne station de dolmus ou un gamin, puis sa soeur, viennent me dire bonjour… et reviennent chacun leur tour pour me serrer cérémonieusement la main। Evidemment, ils sont envoyés par papa qui me fait de grands  »coucou ».

 

Pour aller a Akdamar – selon les panneaux – ou Aktamar – ça c’est la carte – (43 km 1।750.000 tl), on fait un arret a Gevas (10 800 habitants), avant de prendre le feribot (3,5 millions par personne). L’ile réunit des conditions idéales : bleus du lac et du ciel, quelques jolis nuages blancs, soleil, verdure, montagnes et l’église. Enfin, tout pour se faire plaisir en photos… on va essayer de s’en souvenir demain : on va au chateau d’Hosab, visite recommandée par notre source d’info jusqu’ici un peu défaillante. Vu la photo d’un dépliant touristique et l’incompréhension d’Orhan qui prétend nous envoyer dans des lieux jolis et agréables… on hésite quand meme un peu a perdre du temps (et de précieuses pellicules), mais on a finalement décidé de faire confiance au  »spécialiste ».

Apres Aktamar, resto pour gouter les poissons du lac (+ biere et salade : 16 millions pour 2, le coin étant touristique). Pour info, il y a un camping avec des lits, des tentes en dur (!), des machines a laver et de la fud.

Au Caldiran, la chambre a été récurée (c’est la 208, au cas ou, ça peut servir) : il a du y passer la journée ! Et l’internet café nous accueille avec un éclair au chocolat : comme dit le Guide du Routard, les Kurdes sont farouches et le Sud-Est dangereux !

Au fait, le panneau de Van – selon Sandrine qui ne sait plus au juste combien elle a vu de zéros – prétend qu’il y a 226 000 habitants, et dans les  »divers », je tiens a signaler que les propos fallacieux envers le HADEP n’engagent que leur auteur…

Bon 14 juillet !

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Hadi

Roxane me demande d’expliquer Hadi. Le phénomène Hadi… Bon, c’était en septembre 2000, dans un dolmush qui nous emmenait de Batman à Van. Presque aucun passager, mais parmi eux Hadi. Un jeune de Batman qui est venu nous rejoindre à l’arrière du bus, s’est assis à côté de moi et a laissé trainer sa main. J’explique pour les Européennes, ça peut servir : ici, ce sont les filles qui font les avances et donc qui prennent la main des garçons, et quand ils jouent leurs demoiselles effarouchées elles doivent insister, et quand ils partent en courant elles leur courent après, ameutant père et frères au besoin…

Bon. Hadi a vraiment laissé trainer sa main sur la banquette pendant des kilomètres, avec une touchante bonne volonté. Il ne nous a pas lâchées jusqu’à l’hôtel (et c’est pour cela qu’on a pris le premier venu, le Çaldiran donc), s’est fait jeter par le personnel de l’hôtel, m’a appelée deux trois fois dans la nuit d’un ton dramatique (Sandrina, ez ji te hez dikim…), a recommencé le lendemain et pendant tout mon voyage, et même après mon retour, n’a cessé de m’appeler, jamais découragé. Deux ans cela a duré. Règle générale : Hadi se manifeste toujours quand j’attends un appel important et que je me précipite sur le téléphone. Par la suite, se doutant bien que je raccrochais au son de sa voix, toujours optimiste, jamais découragé, car un jour, je verrai bien où est mon destin, il a fait appeler toute la Turquie à sa place. Une amie de Diyarbakir, un copain de Batman, Kasim d’Istambul, un Ahmet de Samsun…

Maintenant qu’il a cessé d’appeler (sa maman a dû le marier entre temps) ces deux derniers appellent pour leur propre compte. Ne me connaissent pas du tout mais je suis régulièrement invitée à Istambul ou Samsun. Donc un conseil : si jamais un Hadi de Batman vous demande votre numéro, sautez du dolmush, même en marche.

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Sis tavuk

Je ne vous ai pas encore donné la recette du sis tavuk, alors voila : prendre des morceaux de poulet et les embrocher avant de faire en sorte de les dessecher a la cuisson. Servir avec plein de pain (au cas ou ce ne serait pas déja assez étouffant) et des gros piments (pour le cas ou vos convives bougeraient encore un peu). Avec de la soupe, l’inévitable salade, du thé et un soda : 7 millions pour 2. 

 

Apres ce repas mémorable, on retourne au Çaldiran, mais on vous conseille moyennement si vous n’etes pas des routards entrainés (il y a quand meme de l’eau chaude). La derniere fois, il nous avait semblé mieux, mais c’est vrai qu’on venait de Mardin et de son hotel aux cafards et depuis, le temps a passé plus que l’éponge. 

Ce matin juste avant de prendre ma douche (en tenue d’Eve évidemment ), je leve par hasard les yeux au dessus de la porte (il y a une petite vitre qui donne sur le couloir a environ 2,50 m du sol pour donner de la clarté) : un mec était en train de zyeuter. Le temps de m’envelopper de mon drap, il est trop tard pour ouvrir la porte et le coincer. 

Une demie heure plus tard, quelqu’un frappe. Sandrine se dévoue pour passer un jeans et tombe sur un jeune qui d’un air tres stylé explique en anglais qu’un type avait regardé dans la chambre et qu’ils s’en étaient occupé. Aux gestes joints a la parole, on ne sait pas s’ils en ont fait de la charpie ou du kebap ! C’est vrai qu’ici ils commencent a avoir l’habitude : la derniere fois, ils ont joué les videurs pour nous débarrasser d’Hadi (Sandrine doit etre en train d’expliquer).

Je rassure les filles quand meme : en Turquie, ce genre d’incident est extremement rare. Il y a toujours quelqu’un pour vérifier qu’on ne vous embete pas et si ce n’est pas le cas, n’importe quel passant se fera un plaisir de dégager l’intrus. Meme dans les hotels, un turc ne peut rentrer dans la chambre d’une femme si ce n’est pas la sienne : meme la il hésite, mais c’est pour d’autres raisons. 

Ca doit etre l’air de Van qui provoque ces mésaventures : il y a 2 ans, dans les marais pres du lac, 3 jeunes nous ont suivies pendant au moins une heure. C’est courant, il y en a toujours au moins un pour surveiller que tout va bien, on n’y fait meme plus attention. On essayait de trouver un chemin pour sortir du dédale des marécages, quand quelqu’un me saute dessus… et me fait un bisou dans le cou avant de s’enfuir. C’était un grand d’au moins 13 ans ! Bon, une autre fois, je vous raconterai les petits vieux délurés.
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