Kahta – Mardin

Donc, nous allons manger du poisson dans un village a quelques kilometres de Kahta : truites au four (ça change) et éternelle salade tomates/concombres (12।000.000 tl le repas pour 2 avec fruits et boissons). Le coin regorge de grenouilles et de cigales. Dommage que Kadir gache en partie la soirée avec ses jérémiades : il aurait préféré ne pas nous connaitre, maintenant son amour a sens unique va lui gacher la vie, etc. Ne sait visiblement pas que les grandes douleurs sont muettes, on préfere abréger.

 

Ce matin, son adjoint vient nous voir pendant le petit dej pour demander poliment la permission de me donner son tee shirt !?! Il insiste qu’il n’y a rien a craindre : il l’a lavé et repassé hier soir. Les voies des Kurdes étant impénétrables, et l’arrivée de notre dolmus imminente, je préfere accepter sans discussion.

Donc on prend un dolmus pour Siverek (71.200 habitants – 4.000.000 tl par personne avec traversée d’un lac en ferry). Premier controle de la Jandarma qui fouille les hommes et premier mouchard qui veut nous faire dire qu’on aime Apo. Dans ce genre de cas, le mieux c’est de prendre l’air touriste idiot : il laisse tomber.

 

De Siverek, nouveau dolmus pour Diyarbakir (1.500.000 tl par personne, 86 km, Kahta-Diyarbakir : 170 km en 4 h arrets de jeu compris). L’habituel panneau annonce 512.000 habitants. En fait, avec les réfugiés, les sources officiellement officieuses reconnaissent pres de 3 millions de personnes, mais la dotation de l’Etat pour les villes étant calculée en fonction du nombre d’habitants, les chiffres sont revus a la baisse pour les villes kurdes.

 

En me tendant l’un des sacs photos, le chauffeur avise le porte clés qui y est accroché et qui me sert a différencier les sacs : c’est un gros coeur en plastique rouge… immédiatement réquisitionné avec un regard farouche. De vraies midinettes ! D’ailleurs pour info, les Turcs et les Kurdes adorent aussi les peluches.

 

Pour la premiere fois, nous n’avons pas eu de controle a l’entrée du district, mais nous préférons ne pas trop trainer dans le coin : on est légerement repérées (cf. Newroz 2002). Le temps de changer de dolmus, un vieux qui visiblement nous connait vient d’ailleurs nous saluer.

 

Génial, les keufs squattent l’internet café !

 

Direction la ville du Monsieur qui est né a coté d’Hasankeyf : Mardin (3.500.000 tl par personne le dolmus pour 90 km – 61.600 habitants). Au passage, j’en profite pour signaler aux routards que les trajets et temps d’arret des dolmus obéissent a des lois mystérieuses. Celui-ci met 1 h 45 pour arriver a destination.

 

Mardin comme Diyarbakir abrite de tres nombreux réfugiés dont les villages ont été détruits. Le retour des anciens paysans sur leurs terres se fait a la vitesse escargot, les autorités exigeant de chaque candidat qu’il signe une décharge reconnaissant que c’est les terroristes (PKK) qui ont détruit les maisons et non l’armée. Ceci, pour que les Kurdes ne puissent obtenir réparation devant la Cour Européenne des droits de l’homme (ça devient urgent de trouver une solution acceptable).

 

Nous choisissons l’hotel le plus récent de Mardin (50.000.000 pour 2), l’autre situé sur les hauteurs nous ayant laissé un souvenir tres moyen (chambre poussiéreuse en plein soleil, mosquée tres proche donc réveil garanti a 4 h du matin, pas d’eau mais plein de cafards…). L’hotel Bilen (trois étoiles) a des chambres propres, spacieuses et la clim. : comme on ne sait pas ce qu’on va trouver apres, c’est une halte bienvenue.
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En route vers Mardin

L’eau courante sur les ombres d’été
refuge des arbres dans la ville ensommeillée
Le cahier du voyage se gonfle de mots et de rêves
mes ombres mes lumières mes encres
le souci et la tendresse de toi comme anges gardiens
L’oubli de toi ? Non la feinte comme saveur
Les nomades d’amours perdus conquis a revenir
ont les poches bien remplies
et si d’aventure nous revenons
Les yeux grands ouverts sur le destin
il faut savoir que l’âme et le corps n’ont qu’un temps.
***** ****** ********

 

Mardin. Derniere étape avant de crapahuter. L’hôtel Bilen est une bonne surprise, il va permettre de nous refaire un peu, lessive, bar, restau. avant la plongée dans l’aléatoire du confort. Et vu ses trois étoiles, on l’imaginait plus cher que ça. Il y a même un sauna ! Délicieux à envisager par cette chaleur, comme si on ne suait pas assez dans les dolmush. Aujourd’hui question transports on a été servies : 3 dolmush et un ferry (feribot). Et rien dans l’estomac. Si, un sachet de noisette qu’on s’est partagé a trois heures, entre Diyarbakir et Mardin.

 

Mais la première partie du voyage fut drôle : de dolmush en dolmush et même jusque dans le ferry les conducteurs se passaient le mot que je parlais kurde. Le capitaine du ferry, tres content, nous a fait entrer à côté de lui et j’ai pu assister à la manoeuvre. Sur un lac, ce n’est pas bien difficile de conduire ces grandes boites.

 

C’est que ce matin je n’ai pas pu me retenir en écoutant les propos hautement philosophiques de nos compagnons de voyage. Il faut dire que dans la région de Kâhta toute la vie paysanne a été préservée. Ce sont de purs Kurdes, des gundî pur jus, s’appelant entre eux « bavê me » « Shêxê me », etc . Bref dans le premier dolmush l’un d’eux souffle, s’évente et lâche :

– Welah… Îro germ e.
Silence. Le temps de digérer la nouvelle sans doute. Puis le chauffeur met son grain de sel :
– Bi rastî, germ e.
-…..
Puis :
– Lê çima germ e ?
– Çima, çima ? Nezanim !
Là je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire. Plutôt interloqué, le chauffeur prend à témoin ses passagers : « Vê yabanci… çima dikene ? » Et là il se tourne vers moi hilare : « Çima tu dikenî ? » Je réponds : « Çima, çima germ e ? »
Là il semble méditer quelques temps tandis que l’équipage retient son souffle. Puis, l’illumination.
– Aaaa… temaaammm… tu me fehm dikî…. Aaaa…
Re-crise de fou-rire. Là tout le monde rit aussi, content d’avoir compris. Puis de nouveau, un éclair :
– Lê… Tu tirkî zani ?
– Nezanim.
– Yaaa….. Il en tape dans ses mains de joie en se tournant vers les autres, ce qui m’inquiete un peu parce que tout de même c’est lui qui conduit. « Ew kurmancî zane lê tirkî nezane. Bash e, bash e !

 

Bref après dans tous les changements de dolmush ils se passaient le mot. Il y avait les initiés, les avertis et les autres, les ploucs qui ne savaient pas encore et qui s’esclaffaient quand on s’adressait à moi en kurde. Apres ça affichait de ces airs superieurs…ainsi les Français se donnent la peine d’apprendre le kurde et pas le turc ! Comme quoi…

 

Mais maintenant que nous sommes à Mardin ça va me manquer tout ça, car il n’est plus question de parler kurde aussi librement: Dommage, qu’est-ce qu’ils nous font rire !
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Nemrut dagi

Les mecs de ce pays sont charbés grave !

Pendant le repas, Kadir (le patron) nous présente ses 3 enfants (sont toujours fiers de vous les présenter), puis nous dit qu’il est Kurde et chrétien। Sandrine lui parle en kurde pour avoir des infos sur la situation politique dans la région, et il en profite sournoisement pour me demander en mariage : rapide celui-la pour un Kurde !

Quand on parle du loup… il vient de débarquer dans l’internet café pour savoir si ça va et si on veut manger du poisson (ben voyons !).

Je lui fait remarquer qu’il est marié et qu’il a trois enfants : pas de probleme, chacun devant s’incliner devant l’amour. Quant aux enfants, je n’ai pas a m’inquiéter, on peut les garder vu qu’ils sont a lui ! Mon refus n’a pas l’air de trop le décourager : nous sommes ses invitées, donc il refuse qu’on paye le repas et c’est visiblement lui qui doit m’offrir mes cigarettes… 

Ce matin, au petit dej, on a plusieurs sortes de fromage, des fruits et une omelette en plus (les autres ont un petit dej classique).

 

Le paysage du Nemrut est grandiose et le ciel d’un bleu a faire palir photoshop. J’attends que les touristes et leurs shorts s’éloignent pour prendre les tetes en photo et rale contre l’abruti qui a laissé son sac de sport dans mon champ de vision. L’abruti en question vient bientôt s’excuser timidement en bredouillant que, euh, c’est le responsable des fouilles !

 

Deux heures de balade photos qui valent le détour avant d’aller a Adiyaman visiter l’église syriaque. Au passage, un Kurde vient nous voir : il y a un festival au Nemrut et si on veut, on peut passer a la télé. Ben non, on ne veut pas : déja assez repérées comme ça.

 

Ah, au fait, Sultan : c’est un chat bien sur. On n’est pas sur un blog rose !
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Kahta

(Ça y est maintenant ils passent une cassette de Shivan et viennent me demander toutes les 5 minutes si je comprends et si j’ai bien reconnu Shivan. Oui. J’ai reconnu. Mais j’essaie de me concentrer sur mon clavier, voilà ce que j’essaie de faire.)

 

Sinon le déroulement de la soirée d’hier dont Roxane je suppose a ou va parler me confirme dans l’opinion que les Kurdes sont les véritables héritiers des anciens Grecs pour ce qui est de l’amour, du mariage et des gosses. Le mariage est effectivement une activité purement utilitaire et sociale et qui sert surtout à faire des enfants. Ils sont en outre persuadés que les enfants appartiennent avant tout au père (qu’ils soient musulmans, chrétiens ou alévis n’y change rien) la femme n’étant au fond que le réceptacle : ça, c’est l’héritage d’Aristote. Quant à l’amour, c’est un dieu qui vous tombe dessus et contre lequel aucune légitimité, aucun mariage, aucun engagement ne prévaut (Platon). Personne n’en est responsable, sinon peut-être l’objet de cet amour. Mon Hassan de Diyarbakir m’avait deja fait le coup . « Tu es venue, tu t’es assise près de moi et tu es entrée dans mon coeur. » Et ensuite c’était à moi d’assumer, je n’avais pas à rentrer dans le coeur des gens comme ça, même par distraction. Mon objection qu’il était marié il l’avait superbement balayée : « ez zewci me heta ez dixwazim ». Et je devais m’installer a Diyarbakir bien sûr d’autant que Monsieur gagnait bien sa vie pourquoi s’embêter. Je précise qu’il est inutile de dire que l’on est pas libre. Au début ils posent la question. Si on répond par la négative ils demandent si c’est quelqu’un qui vit ici. Et si c’est le cas, si c’est quelqu’un de leur village. Eh bien même si c’était dans la même famille ça ne compterait pas, en final. Le seul vrai engagement qui vaut c’est celui que l’on fait avec eux. Tout le reste, de leur côté comme du nôtre, n’est qu’une sombre usurpation. Les Turcs sont un peu plus raisonnés mais les Kurdes sont de vrais majnoun. C’est pour ça qu’avec eux on ne s’ennuie jamais.

 

(Décidément à chaque fois que quelqu’un de nouveau entre dans ce cyber-café ils lui annoncent que je suis Française et que je parle kurde. Comme je l’entends dire aussi en turc, je suppose qu’ils le disent aussi à des Turcs ? Bof, les gens d’ici ont l’air cool).

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Malatya – Adiyaman

Hier, dolmus de Malatya pour Adiyaman (4.500.000 TL par personne – 175 km – 2 h 30 – 213.600 habitants). Sur la route, les abricotiers me narguent : a chaque fois que nous faisons une halte a Malatya, les abricots ne sont pas encore murs ou déja cueillis. Par contre, quand on ne fait que passer en car, les arbres sont magnifiques et couverts de fruits ou de fleurs. Cette fois ci, pour les photos, c’est trop tot de 2 ou 3 semaines. La région est prospere et dans les champs les blés sont déja coupés. Certains paysans labourent encore a l’aide d’un cheval et d’une charrue.

 

La chaleur – qui a Malatya était plus supportable – s’intensifie. Brusquement, un choc dans la vitre et un objet non identifié (qui se révelera etre le retro du dolmus) vole en éclats a ma hauteur : heureusement que la vitre était fermée ! En fait, en croisant un autre dolmus, les deux véhicules se sont frolés d’un peu trop pres. Je profite de l’arret pour prendre quelques photos de la campagne, le temps que les deux chauffeurs s’engueulent pour déterminer qui est responsable (les deux : ils roulent tous comme des malades).

A l’arrivée, nous prenons immédiatement un autre dolmus pour Kahta (1.250.000 TL par personne – 31 km – 74.500 habitants). Pendant le trajet, deux bigottes et trois corbeaux (meufs habillées et voilées tout en nylon noir) nous observent bizarrement. Un taxi nous dépose a l’hotel Kommagene (25 millions pour 2 avec petit dej). La chambre est claire, propre, avec la clim et un balcon. Il y a un restaurant dans une cour ombragée, ce qui est appréciable vu la chaleur qui regne ici.

Message perso : Ephrem, il y en a 150 a Adiyaman répartis entre 6 familles et 350 a Kahta.

 

Le patron nous propose un tour pour le Nemrut Dagi : 112.500.000 TL pour 2. Apres négociations serrées, on se met d’accord pour 68.000.000 tl, entrée du site comprise. A ce sujet, si vous etes étudiants, n’oubliez pas votre carte : en Turquie, elle donne droit a des réductions sur la visite de nombreux sites et monuments.

Comme on rale sur les kebap, le patron se propose pour nous faire la cuisine. Je vous livre la recette non adaptée du tirsik pour 8 a 10 personnes :

 

 
  • 800 g de mouton a couper en dés
  • 2 gros oignons émincés
  • aubergine coupée en dés
  • 7 gros piments verts coupés en dés
  • 3 gousses d’ail épluchées (les mettre dans un peu d’eau pour éviter que ça colle) : les écraser avec le plat d’un couteau, puis émincer grossierement
  • 25 grosses tomates coupées en dés
  • 100 g de graisse de mouton coupée en dés (peut se remplacer par de l’huile)
  • Mettre dans un plat par couche dans l’ordre des ingrédients et saler généreusement। Mouiller avec un demi verre d’eau (pour faire fondre le sel et le répartir entre les couches).
  • Cuisson : 2 heures a four doux

Si vous n’etes pas Kurde, je vous conseille d’adapter : tel quel, c’est du piment a la viande et a la tomate, et la seule boisson qui convient avec, c’est du raki vu que ça anesthésie !

En attendant que ça cuise, je passe 2 heures avec Sultan, un superbe roux aux yeux verts, adorable et calin…

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Kahta – Adiyaman

Depuis hier nous campons a Kâhta। Quand je dis camper c’est une façon de parler car l’hôtel est très bien avec de grandes chambres claires, climatisation et un jardin-restaurant. Le patron a une histoire intéressante : il se dit chrétien mais c’est seulement depuis deux ans. Son père était chrétien mais comme il l’avait perdu a 6 ans (tué par des Musulmans) il a longtemps ignoré ses origines car sa èere est Kurde et lui-même se considère comme Kurde plus que Suryani. Un Kurde chrétien, il y en a qui aiment avoir des problemes. Il nous a dit qu’à Kâhta vivaient environ 350 chrétiens et à Adyaman 150 (tu vois Ephrem, on pense à toi !).

 

Il y a aussi des Alévis qui vivent dans ces montagnes, venus après les grandes révoltes du Dersim। Des enfants d’Alévis auraient été aussi emmenés à Malatya alors que leurs parents étaient tués. En tous cas, ici ils sont tous kurmandj pour la plupart et depuis hier ne cessent de répéter à toute la ville et les villages environnants que je parle kurde. Ce matin, sur le chantier archéologique du Nemrud, ils étaient fiers. Qu’une Française apprenne le kurde à Paris, à l’université et dédaigne en plus d’apprendre le turc… ils ont tous affiché un air entendu et supérieur devant un des chefs de chantier, un Turc qui n’y pouvait mais et qui en plus avait l’air très sympathique, ne semblant pas m’en vouloir.Ce qui est notable c’est qu’en ville il est difficile de repérer d’emblée les Kurdes car ils parlent souvent turc. Par contre, les mêmes, dès qu’ils arrivent au village, parlent instantanément kurde. C’est comme un conditionnement qui tomberait avec l’air des montagnes. 

 

Cet apres-midi nous avons vu l’église syriaque d’Adyaman qui est rouverte depuis deux ou trois ans grâce au soutien actif des Suryanis de la diaspora (Allemands pour la plupart)। Ils viennent ici aux vacances et célèbrent leur culte. L’église, qui a quatre cents ans est assez jolie, quoique très simple (les églises ne doivent jamais être ostentatoires en terre d’islam). Un bâtiment de plan rectangulaire, de pierre blonde. A l’intérieur peu de décoration sauf des retâbles de bois peints et sculptés dans un style naïf. Le prêtre parle kurmandji tres bien quoiqu’il dit l’avoir beaucoup oublié depuis 1965, date à laquelle il a dû cessé de le parler et de l’entendre. 

 

(Ici je fais une pause pour signaler que tout le temps que je tape ce post des garçons passent en m’interpellant joyeusement en kurde et répètent aux rares qui ne sont pas déjà au courant que cette Française-là parle kurde. Apparemment toute la ville se passe le mot.) 

 

Je reprends : La situation des Chrétiens est moins bonne à Adyaman qu’à Kâhta car moins nombreux, ils ont un peu peur des Musulmans et des autorités. Disons qu’ils ne s’affichent pas beaucoup. Par contre, contrairement à ce que j’ai souvent entendu dire ils n’ont pas d’hostilité envers les Kurdes et le fait que je parle kurmandji semble les réjouir. D’ailleurs un certain nombre d’entre eux le parle aussi en plus du syriaque.
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