Lalesh

Mon chauffeur yézidi arrive avec une demi-heure d’avance : ils ne me l’avaient jamais faite celle-là, habituellement, c’est plutôt une heure de retard ! 50.000 dinars de Duhok à Lalesh, où il me laisse à l’entrée du village avec mes sacs.

Babe Cawish - Lalesh

Babe Cawish – Lalesh

Coup de fil à Shivan pour savoir ce que j’en fais, mais ils ont tout organisé : Luqman Suleeman va venir me chercher (il vient de partir de Sheikhan), en attendant, je n’ai qu’à demander à ce qu’on me conduise chez Babé Cawich. En attendant, vu l’attroupement de gosses qui commence à se former, j’en profite surtout pour sortir les appareils.

Les Peshmergas sont à l’entrée du site sacré, c’est la première fois que je les vois si proches du Temple yézidi : habituellement, ils sont tout en bas, au contrôle qui garde la route d’accès ç Lalesh.

Luqman arrive en peu de temps et m’aide à porter mes sacs dans le grand salon de réception où, à priori, je peux m’installer pour dormir. Il parle très bien anglais et m’explique qu’Edith Bouvier, une journaliste française, vient d’être blessée en Syrie et qu’elle est venue à Lalesh juste avant de partir là-bas.

On va faire un tour dans la cour du Temple où il me présente Pir Saït (Said),  qui reçoit des fidèles nonchalamment installé dans un petit iwan, magnifique dans son costume blanc avec sa barbe et son keffieh. Regard intelligent et pénétrant, si on m’avait demandé quel genre de Pir je voulais pour des photos, j’aurais commandé celui-là !

Luqman Suleeman - Lalesh

Luqman Suleeman – Lalesh

Il demande mon prénom, mais à la première tentative pour le prononcer (personne n’arrive à dire Roxane ici), il décrète que dorénavant, ce sera Kéni (Kênê)… ce qui se propage immédiatement dans tout Lalesh : je ne peux plus faire un pas sans qu’on interpelle Kéni de tous côtés !

Luqman m’emprunte un appareil et se balade avec sans l’utiliser, avant de me demander de lui faire une série où il pose avec le téléobjectif.

Quand je lui demande comment je peux différencier un Sheikh d’un Pir, la réponse est simple : faut leur demander, il n’y a aucun moyen de les distinguer quand on ne les connait pas.

En résumé, les Yézidis sont répartis en trois castes dès leur naissance, l’appartenance à une caste étant héréditaire : les Sheikhs et les Pirs (caste la plus ancienne) qui sont les castes religieuses, et les Murids qui sont les laïcs. Au dessus, il y a le Babé Sheikh (le « pape » des Yézidis), choisi par le conseil religieux dans la famille des Shemsani, le prince, et Babé Cawish qui est le plus haut religieux de Lalesh.

La caste des Sheikhs a été instaurée du temps de Sheikh Adi pour donner le change aux Musulmans, des inscriptions en arabe ont été gravées un peu partout dans Lalesh toujours dans le même but, et des lieux rebaptisés pour la même raison… en pure perte, les Yézidis sont persécutés depuis plus d’un millénaire par la religion dominante.

Fakir yézidi à Lalesh

Fakir yézidi à Lalesh

Chaque Yézidi dépend d’un Pir et  d’un Sheikh, y compris les Pirs et les Sheikhs qui peuvent être des femmes, celles-ci exerçant les mêmes fonctions que les hommes. Ils assistent les fidèles dans les moments difficiles, notamment lors d’un décès, et peuvent soutenir moralement les proches du défunt pendant 40 jours si nécessaire.  Les serviteurs du Temple ont des noms différents en fonction de leurs attributions et doivent rester célibataires.

Un Murid peut devenir :

–         Fakir, consacrer sa vie à sa religion et servir le Temple yézidi. Les Fakirs sont censés vivre de mendicité, mais dans la réalité ils exercent aussi un travail à l’extérieur pour subsister ;

–         Qawal, c’est-à-dire jouer de la musique sacrée pour accompagner les cérémonies et les fêtes.

Il existe aussi dans toutes les castes des Kocaks, bien qu’en voie de disparition : ce sont les voyants, les devins, mais aujourd’hui, plus personne ne croit leurs prédictions.

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Yézidis

Babe Sheikh

Babe Sheikh

Les Yézidis ont déménagé, provisoirement, le temps de restaurer le centre culturel Lalesh. J’ai eu du mal à convaincre le chauffeur de taxi de continuer à chercher, mais finalement, il a fini par trouver. Je suis invitée à entrer, sans la moindre question, et un jeune de garde se précipite pour m’enlever le sac photo qui arrive avant moi en haut de l’escalier, en même temps que le thé.

Pir Xidir a donné sa dem. et vient de partir s’exiler en Allemagne. C’est le cas également du docteur Kheri qui m’avait fait un charmant sourire pour une photo la dernière fois, et ce ne sont pas les seuls. Si un Pir qui était de plus député au GRK préfère partir, c’est que la situation des Yézidis est loin d’être brillante

Malgré le soutien de Massoud Barzani qui répète à qui veut l’entendre que les Yézidis sont les plus anciens des Kurdes, leur situation est plus que préoccupante.  Les islamistes les traquent et ils doivent se contenter de petits boulots. L’accès à l’hôtellerie ou la restauration par exemple leur est fermé, et les élites et ceux qui le peuvent s’exilent…

On arrive à communiquer en anglais, mais pour le plus compliqué, ils font venir Shivan qui vient de terminer un master d’histoire à Paris et qui est parfaitement francophone. J’en profite pour lui demander de m’écrire en kurde le nom et l’adresse de tous les endroits où je compte aller, ce qui va grandement me simplifier la vie !

Yusif Bari

Yusif Bari

Yusif, qui est sikrêter du journal de Lalish, me renseigne sur le nom des Yézidis que j’ai mis en photo sur mon site et me demande s’il peut les utiliser ; première fois que je vois un Kurdistani me demander une autorisation !. Promis, j’enverrai des fichiers convenables en rentrant, en attendant il copie les fichiers Web, et me fait poser pour une prochaine édition dont j’espère ne jamais voir la publication !!!

On déjeune tous ensemble dans la cuisine : salade tomates/concombres, poulet, riz : convivial, simple et bon, et ça me change du kebab.

L’après-midi passe à toute vitesse. Longue discussion avec Shivan qui s’arrange pour m’organiser ce qui n’était pas possible au départ en raison de l’insécurité que subissent les Yézidis, leur sens de l’hospitalité étant bien évidemment hors de cause : une nuit à Lalesh… GÉNIAL !

Clopes : 6 paquets pour 13.500 dinars, j’ai payé le même prix pour 4 à Erbil. Le vendeur refuse en fait les 500, et un client se fait charrier quand il demande d’où je viens. Réponse unanime des Kurdes présents : FRANSI !… sur le mode faudrait un peu sortir de ta cambrousse de temps en temps.

En allant à ma cantine habituelle (entre 3000 et 3500 dinars, boissons et thé compris), un passant me demande si je suis bien la photographe française qui était à Erbil et si j’ai besoin de quelque chose ?!?

Arrivée dans mon resto/fastfood, tout le monde défile pour me saluer, y compris les cuistots. Ils sont super contents et pas qu’un peu fiers : 3 fois que je viens, vont pouvoir mettre une pancarte «C’est ici que mange Paris»…

Dommage que certains sortent le tapis de prière pour que tout le monde puisse en profiter en vitrine.

A l’hôtel, personne à la réception. Je prends ma clé et note que quelqu’un est entré : j’avais fermé à double tour, là un seul suffit à ouvrir. Exact, ils ont fait le ménage, c’est nickel. Tellement nickel qu’en fait plus rien ne traine nulle part… même pas dans les placards !

A la réception, le petit jeune de service s’excuse d’avoir oublié de me prévenir : ils m’ont changé de chambre, remis toutes mes petites affaires à l’endroit correspondant dans l’ancienne chambre, y compris le tapis de prière que j’avais déplacé, plié le linge que j’avais lavé et mis à sécher… J’ai pour moi toute seule une grande chambre pour quatre personnes, avec 4 grandes serviettes de toilette, une grande baie vitrée avec vue sur la ville, le tout pour à peine 20 €, petit déj. compris, et les cafards n’ont pas suivi.

Ça va nettement mieux depuis que j’ai quitté Erbil !

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Duhok

Mem et Zin burger

Mem et Zin burger

Taxi collectif pour Duhok : à 4 passagers, ça fait 10.000 dinars chacun, ce n’est pas ruineux et c’est rapide. En fait au garage, ils demandent toujours avec combien de personnes je veux partager la voiture, et on répartit le prix de la course. Covoiturage efficace et comme je suis la seule femme, j’ai généralement  droit à la place du passager avant, donc je suis bien installée pour un prix dérisoire.

Le taxi me dépose à l’hôtel Bircin tenu par une femme, ce qui est rare : 30.000 dinars, ça ne vaut pas plus, mais le drap est propre, la petite baignoire aussi, il y a Internet… et un ou deux cafards dans la salle d’eau.

Après-midi au bazar, je n’ai que la rue à traverser. Je teste une pâtisserie qui propose aussi des jus de fruits frais pour presque rien : 2500 dinars pour un grand verre de jus de grenade et un chou avec de la crème très sucrée comme tous leurs gâteaux.

Pide

Pide

Il y a un peu plus de femmes sans foulard ou avec le foulard kurde qu’à Erbil, mais dans le coin il y a aussi des Chrétiens et des Yézidis. Les Kurdes sont fidèles à eux-mêmes, curieux et prêts à se précipiter pour me rendre service, surtout ceux qui parlent un peu anglais ou un peu turc, ce qui m’aide bien pour expliquer aux chauffeurs de taxi où je veux aller.

Je m’abonne au resto du coin qui doit être turkmène (plusieurs employés parlent turc et la télé diffuse des chaines turques) : une paire de pide, une soupe, une salade (offerte), un coca, une bouteille d’eau et un thé : 3.500 dinars (environ 2,50 €). Les serveurs, le cuistot et le responsable se relaient pour venir me parler… et répondre aux questions que les autres clients brulent de me poser.

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Sepa Shalalat

Sepa Shalalat

Sepa Shalalat

Le réceptionniste m’indique deux endroits à  visiter près d’Akre : Kanizerk et Sepa Shalalat (Sipa). Je tends mon papier au chauffeur de taxi et le laisse choisir ma destination, de toute façon, je n’ai absolument rien compris aux explications.

Il m’emmène à plusieurs kilomètres près d’une chute d’eau dans un site aménagé avec des bassins, petit mais verdoyant. C’est plein de mecs qui s’éclatent dans l’eau : ambiance très familiale, et beaucoup trop humide pour mes appareils que je dois protéger contre les éclaboussures des jeux aquatiques.

Zikra

Zikra

Je trouve facilement un taxi pour le retour, qui refusant de se faire payer, finit pas accepter en se marrant 1000 dinars.

A peine descendue de voiture, un Kurde de Shaqlawa qui parle anglais me rejoint et m’explique qu’il doit aller récupérer ses touristes irakiens et qu’il m’embarque avec lui à Sipa, qui est en fait le site que je viens de quitter.

Il me laisse ses coordonnées pour que nous puissions nous revoir si je décide d’aller à Shaqlawa, et pour me montrer les lieux intéressants de la ville que je ne connais pas encore, à commencer par les ruines du château.

Puisque je suis là, j’en profite pour aller manger sur les hauteurs, à l’abri de la flotte (kebab gras, salade : 13.000 dinars). Un gamin dessert les tables et une jolie pitchounette vient me vendre un bol de petites figues délicieuses. Ils sont très pauvres tous les deux, mais refusent que je leur laisse quoi que ce soit. Par contre, ils sont ravis de pouvoir «bavarder» et des photos, et font de gros efforts pour me noter leurs noms en caractères latins : Zikra et Suleeman.

Petits Kurdes

Petits Kurdes

La petite qui ne comprend pas ma réponse à l’une de ses questions, me tapote soudain le bras d’un air protecteur et m’assène un inattendu «Mange, mange, Fransi» tellement drôle pour ce petit bout de femme, que je m’en étrangle presque de rire.

Le taxi qui me raccompagne refuse obstinément que je le paie, là c’est rien de rien : prend un air offusqué en se marrant pour que je comprenne que non, mais, ça va pas la tête ?!

C’est trop bien de pouvoir enfin les retrouver…

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Akre

A l’Ishtar gate hotel, c’est finalement  50.000 dinars la nuit pour une petite chambre vieillotte, au lieu des 30.000 annoncés par Khasro : avec les taxis obligatoires pour aller en centre ville et les diners au Samad (cher mais il n’y a rien d’autre dans le coin), j’aurais fait des économies de temps et d’argent à rester dans le confortable Almas plaza ! Et je ne compte pas les deux bouquins sur Mitterrand que ce naze n’a même pas eu la correction de proposer de me rembourser…

Akre

Akre

Erbil/Akre en taxi collectif (10.000 dinars, un peu moins de 7 €) : il me dépose au Jar-Jra motel (90.000 dinars) en bordure de nationale. Ça pue le gasoil, et l’essence qui est stockée à l’entrée n’arrange rien.

Il y a de la vaisselle sale dans l’évier et les poubelles des derniers occupants n’ont pas été vidées. L’odeur dans la cuisine et la salle d’eau est écœurante : pas simple de se laver les dents en apnée !

Akre est l’une de ces villes de montagne sans grand intérêt, mais oh merveille, c’est plein de vrais Kurdes !… Ouf !!!

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Erbil et ses nouveaux beaufs

Retour à la citadelle puisqu’hier, je n’ai pas eu le temps d’en faire le tour. Une grande partie du site est toujours en restauration et interdite au public.

La plupart des visiteurs que je croise m’arrêtent pour bavarder et pour me demander la permission de me prendre en photo avec eux, y compris des Turcs d’Antalya venus faire du tourisme dans la région.

J’échange en anglais quelques mots avec des Kurdes, qui après m’avoir demandé mon âge concluent entre eux «elle ne comprend pas l’anglais» : 47 ans, pour eux j’ai répondu à côté de la plaque !

Je croise de plus en plus d’Irakiens qui paraissent très à l’aise ici, dont Hayder de Bassora. Il est photographe et ne savait pas à qui confier son matériel pour être sur ses photos souvenir : ma présence le dépanne. Après avoir échangé un peu sur nos objectifs (photo) respectifs, et sur l’antiquité, il conclut avec humour sur son pays : «première civilisation hier, dernière aujourd’hui !». Avant de nous séparer, il tient à me laisser ses coordonnées complètes, et insiste pour que je le contacte si je veux venir en Irak : je les trouve de plus en plus sympa ces Irakiens, et totalement différents de l’image que nous en donnent les médias français.

Après un tour au divan ottoman et aux constructions attenantes, je m’apprête à redescendre quand un préposé à la citadelle me fait signe de le rejoindre, m’indique la chaise près de lui et me tend une clope… avant de me demander de le suivre dans un coin discret avec des gestes non équivoques. Je l’envoie bouler tout aussi explicitement, mais il se permet de me suivre pour me relancer jusqu’à la sortie du site, probablement pour le cas où je n’aurais pas bien compris la première fois, et réalisé brusquement quelle fantastique occasion je risquai de louper !

Une islamisation de façade progresse de façon spectaculaire. Je n’ai pratiquement pas croisé de femmes avec ou sans le foulard kurde traditionnel, elles ont presque toutes adopté à Erbil le foulard islamique censé les protéger des regards masculins (regards qui ne leur posaient pas de problèmes il y a trois ans), mais n’hésitent pas à afficher des couleurs très vives et voyantes, des paillettes à gogo, et un maquillage que ne renierait pas un trafiquant de voitures volées.

Les «bons» musulmans kurdes, eux, affichent leur dégout de l’alcool… en public, et se planquent pour boire tout en se gavant de porno. Le développement rapide des télécommunications, et principalement d’Internet, allié à la frustration que leur impose leur société, leur renvoie une image de l’Occident totalement déformée, d’un grand lupanar où toutes les femmes sont disponibles et consentantes, et la vie facile…

Le clientélisme qui sévit dans les partis politiques n’arrange bien évidemment pas la situation : fric et pouvoir despotique pour les uns, aucun espoir d’avenir pour les autres qui rêvent de partir en Europe et le font dès qu’ils en ont l’occasion, principalement les jeunes.

Arriver à se libérer d’une si longue dictature extérieure, pour s’en fabriquer une «maison» en si peu de temps, c’est vraiment à pleurer !

Il reste encore quelques Kurdes chaleureux et sans arrière pensée, comme le guide du musée, ou ce vendeur de thé qui a refusé que je lui paie le mien ainsi que la bouteille d’eau, et m’a expliqué qu’à chaque fois que je passerai au bazar, je serai son invitée, mais ils ne sont plus majoritaires. Il y a bien les Arabes et les Turkmènes qui se comportent normalement et que je rencontre avec plaisir, mais si je suis au Kurdistan d’Iraq, c’est pour voir des Kurdes…

Il est temps de quitter Erbil et sa morale hypocrite qui commencent à me gonfler grave, en espérant que le phénomène ne se soit pas propagé à tout le Kurdistan.

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